Le rideau est tombé sur la huitième édition de la Conférence internationale de Tokyo sur le développement en Afrique (Ticad 8) avec l’adoption de la Déclaration de Tunis et d’un plan d’action visant à multiplier et à intensifier les investissements privés en Afrique. Une Feuille de route sur la coopération a été conçue visant à ouvrir de nouveaux horizons entre le Japon et le continent africain dans le cadre d’un partenariat d’exception. A la lumière de ces avancées, M. Ueno Shuhei, représentant résident de la Jica en Tunisie, nous donne d’amples éclairages sur le bilan de la Ticad 8 et la participation à cette édition. Interview.
Comment évaluez-vous le bilan de la 8e édition de la Ticad ?
Je voudrais d’abord féliciter la Tunisie pour la réussite et la bonne organisation de ce grand évènement. J’apprécie également toutes les personnes qui ont travaillé pour sa réalisation dans les meilleures conditions.
Les assises de la conférence ont été une opportunité renouvelée pour les dirigeants d’approfondir le dialogue pour la mise en œuvre d’un plan d’action qui ne concernait pas seulement l’entrepreneuriat et le secteur privé, mais aussi divers sujets liés au développement de l’Afrique, tels que la croissance verte et l’innovation, la santé et l’éducation, le changement climatique, la paix et le développement communautaire. Bien que le sommet soit terminé, la Ticad elle-même est un processus. Nous, y compris la Jica, devrions poursuivre ce qui a été discuté et annoncé et les transformer en actions concrètes.
Quelle lecture faites-vous de la Déclaration de Tunis ?
La Déclaration de Tunis confirme l’importance de l’investissement dans le capital humain, ainsi que l’importance du multilatéralisme. Elle s’articule autour de trois axes : la transformation structurelle pour une croissance économique et un développement durable ; la mise en place d’une société résiliente et durable et la garantie d’une paix et d’une stabilité durables.
Sur la base de ces trois piliers : l’économie, la société, la paix et la stabilité, le gouvernement japonais a annoncé ses contributions pour l’Afrique, qui comprennent 70 initiatives et actions. Beaucoup d’entre elles seront mises en œuvre par la Jica dans les années à venir.
Quel bilan faites-vous des assises de la conférence et de la participation de la Jica en particulier, à la Ticad8 ?
En marge de la Ticad 8, la Jica a organisé plus de 20 événements parallèles en ligne, portant sur diverses thématiques dans les domaines de l’agriculture, du changement climatique, de l’éducation, de l’intégration régionale et de la santé. Plus de 11.000 participants ont été inscrits.
Lors de sa visite en Tunisie à l’occasion de la Ticad 8, le président de la Jica, M. Tanaka Akihiko, a participé au forum économique à des réunions bilatérales avec des Chefs d’Etat et de délégation, et des chefs d’organisations régionales et multilatérales. Il s’est entretenu avec la Cheffe du gouvernement tunisien, Najla Bouden, et tous les deux ont échangé leurs points de vue sur la coopération actuelle et future de la Jica avec la Tunisie, et ils ont confirmé la poursuite de la coopération dans le domaine de la protection sociale, l’électricité, le secteur de l’eau, ainsi que le soutien à l’innovation et à l’entrepreneuriat par l’approche Kaizen qui a démontré son efficacité. La présence du président de la Jica, Tanaka Akihiko, à la Ticad 8, a été couronnée de la signature d’un mémorandum d’entente entre la Jica, l’Organisation japonaise du commerce extérieur (Jetro), le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud) et l’Organisation des Nations unies pour le développement industriel (Onudi), pour promouvoir la croissance et le développement durables dans les pays africains, en renforçant les partenariats entre les secteurs privés japonais et africains. Il a également participé au lancement de l’Epsa 5 (Assistance renforcée au secteur privé pour l’Afrique) (2023-2025) avec le gouvernement japonais et la BAD pour annoncer un financement jusqu’à 5 milliards USD pour contribuer au développement africain à travers le secteur privé. La Ticad 8 était aussi l’occasion d’inaugurer la nouvelle Centrale électrique à cycle combiné de Radès, financée par la Jica et construite par des sociétés japonaises. Les deux gouvernements, japonais et tunisien, ont également signé un accord de coopération technique, qui permet à la Jica la mise en œuvre de quatre projets de coopération technique dans les domaines de l’industrie, de l’eau, du transport et de l’électricité. A l’occasion de la Ticad 8, le pont Radès-La Goulette, financé par la Jica et construit par des sociétés japonaises de renommée mondiale, s’est doté d’une illumination multicolore mettant en valeur l’unicité de ce chef-d’œuvre.
Le sentiment qui ressort de la Ticad 8 est que le Japon envisage de s’impliquer plus encore en Afrique. Que pouvez-vous nous en dire aujourd’hui ?
M. Kishida Fumio, le Premier ministre du Japon, a annoncé l’engagement du Japon à investir un total de 30 milliards de dollars de fonds publics et privés durant les trois prochaines années, et à la poursuite des engagements de la Ticad 7. Les contributions au développement de l’Afrique annoncées par le gouvernement japonais comprennent plusieurs initiatives et actions visant à aider le continent à surmonter les crises, telles que la pandémie du Covid, le changement climatique et les effets de la guerre en Ukraine. La lutte contre la crise alimentaire, l’une de ces actions, comprend 300 millions de dollars pour la production alimentaire en collaboration avec la BAD et le doublement de la production de riz d’ici à 2030. Le renforcement du capital humain et le transfert du savoir-faire japonais seront au cœur des actions. Le Japon s’engage à former 300.000 personnes dans des domaines tels que l’agriculture, les soins de santé, l’éducation et le droit, et encourage les investisseurs privés japonais à s’installer et à investir en Afrique.
La Ticad 8 a ainsi plaidé pour une croissance de qualité et l’investissement dans le capital humain, l’économie verte et l’amélioration des conditions de vie des populations en Afrique.
Comment se porte la coopération entre le Japon et le continent africain ?
Le gouvernement japonais annonce ses contributions pour l’Afrique lors de chaque Ticad, et la Jica met en œuvre beaucoup d’entre elles. Nous suivons également les résultats obtenus. Par exemple, après la Ticad 7 en 2019, la Jica a mis l’accent sur le développement des ressources humaines en invitant 552 jeunes au Japon dans le cadre de l’«Initiative ABE» et en proposant des formations à 304.756 personnes dans divers domaines (Kaizen, formation professionnelle, irrigation, etc.). Le Japon et la Jica ont également fait bénéficier 40.000 personnes du secteur de la santé et 8.000 personnes du secteur de la paix et de la stabilité.
La Jica a également travaillé pour le développement de 5 corridors économiques en Afrique, dont le corridor Trans-Maghrébin, qui inclut le projet de construction de l’autoroute Trans-Maghrébine Gabès-Médenine en Tunisie, financé par la Jica. L’Initiative africaine «Kaizen» a été lancée dans toute l’Afrique à travers le processus de la Ticad. En Tunisie, le projet Kaizen dans ses 2 phases a été mis en œuvre entre 2009 et 2021. Le projet a contribué à améliorer la productivité des 80 entreprises modèles bénéficiaires à hauteur de 86,5%. Le Japon est engagé dans la promotion de la couverture sanitaire universelle sur le continent. La Tunisie a bénéficié d’un don d’un séquenceur de génome à l’hôpital Charles-Nicolle, et de la fourniture d’équipements médicaux à l’Institut supérieur de technologie médicale de Tunis (Istmt).
Dans le cadre du programme «Ninja-Next Innovation with Japan», lancé dans 19 pays africains pour soutenir l’entrepreneuriat, 5 startup tunisiennes ont reçu un soutien financier d’environ 30.000 dollars chacune.
L’envoi de volontaires japonais pour la promotion des activités sportives se poursuit dans tous les pays, y compris en Tunisie où 3 volontaires sont actuellement affectés pour 2 ans. Afin de renforcer la paix et la stabilité, la Tunisie a bénéficié d’un don de 2 navires de surveillance des pêches (1,209 million de JPY) pour lutter contre la pêche illégale, non déclarée et non réglementée (INN) et soutenir les pratiques de pêche durables. La livraison des navires est prévue avant la fin de 2023.
La Jica est présente depuis des années en Tunisie, comment évaluez-vous cette longue coopération entre les deux pays ? De grandes réalisations et de défis attendent donc la Jica en Tunisie ?
La Jica a commencé ses activités en Tunisie en 1975, avec l’envoi de volontaires et la formation au Japon, considérant que la formation des ressources humaines est la base du développement. Puis, ses activités se sont étendues aux projets de la coopération technique, la coopération financière et les dons. Sur la base du dialogue entre les gouvernements japonais et tunisien, la Jica a établi deux axes de coopération en Tunisie : l’aménagement des infrastructures économiques, le développement des ressources humaines et l’amélioration du niveau de vie pour la réduction de la disparité régionale.
Le secteur de l’eau revêt une grande importance dans la coopération. Parmi les grands projets en cours, le Projet de construction de la station de dessalement d’eau de mer de Sfax, le Projet d’amélioration de la desserte en eau potable des centres urbains, les Projets de protection contre les inondations du Grand-Tunis et de l’Oued Medjerda.
Le secteur de l’énergie figure aussi parmi les priorités de la coopération. On cite la Centrale électrique à cycle combiné de Radès qui vient d’être inaugurée, à l’occasion de la Ticad 8, et qui a été financée par un prêt en yen. La centrale est totalement opérationnelle et produit plus de 450 MW d’électricité, soit environ 10% de la consommation de la Tunisie. Bientôt, un nouveau projet d’assistance technique à la Steg sera mis en œuvre, pour assurer une meilleure gestion et stabilisation du réseau électrique dans le contexte d’une intégration massive de l’électricité provenant des énergies renouvelables. Le projet «Kaizen», pour l’amélioration de la qualité et de la productivité dans l’industrie tunisienne, figure parmi les projets réussis, qui a donné d’excellents résultats en Tunisie, et ouvrira les horizons à une future coopération triangulaire Tunisie, Japon, Afrique pour le transfert du savoir-faire vers d’autres pays africains.